Dudelange - naissance d'une ville


Ce dossier retrace, à l'aide de documents et de statistiques, l'industrialisation de Dudelange (bassin minier luxembourgeois) au tournant du XXe siècle et l'arrivée des premiers immigrants. La présentation du sujet est divisée en quatre parties: "Avant l'industrialisation", "L'industrialisation", "La vie des ouvriers", "Le rang de ville".



Dudelange avant l'industrialisation

Géographie

 

Avant l'établissement de la ville, le territoire de Dudelange était réparti entre trois villages:
  •     Dudelange au sud, «depuis toujours» le plus peuplé de ces villages;
  •     Burange au nord-est;
  •     Budersberg au nord-ouest.

Ces deux derniers villages avaient un nombre d'habitants équivalent et devaient garder leur caractère rural même après l'industrialisation de Dudelange

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Carte de Dudelange datant de 1776 (© Administration du Cadastre et de la Topographie)

 


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Ancienne maison de journalier dans la rue de la Tour (Geesselach) (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)



Population

La population de Dudelange présente une croissance similaire à celle des autres villages pendant la première moitié du XIXe siècle. La population a doublé mais la croissance s'est concentrée dans le sud: les populations des hameaux de Burange et Budersberg n'ont pas augmenté substantiellement.

Le tableau suivant illustre l'augmentation de la population:

Village

Nombre d'habitants en 1803

Nombre d'habitants en 1860

Dudelange

785

1222

Burange

252

259

Budersberg

178

211

Total

1215

1692





Economie

Comme ce fut le cas pour la quasi-totalité des villes luxembourgeoises au XIXe siècle, les habitants de Dudelange étaient fortement tributaires de l’agriculture et ont donc choisi d’exercer une profession liée à l’agriculture. De plus, de nombreux journaliers étaient employés à Dudelange; un certain nombre d'artisans - carrossiers, menuisiers, vanniers, et comme Dudelange avait des pubs, des boucheries et une distillerie, il y avait aussi plusieurs commerçants et leurs assistants.


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Ferme à Burange (fin XIXe-début XXe siècle) (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)


Document source:
Professions exercées à Dudelange en 1862


L'industrialisation

Premières implantations industrielles


Après avoir acquis en 1879 les droits d'utilisation du convertisseur Thomas, la société Metz&Cie envisage la construction d'une usine située dans le sud du pays (à proximité des ressources en matières premières). Les directeurs, Jean-Norbert Metz et Victor Tesch, sont aussitôt intéressés par l'emplacement avantageux qu'offre Dudelange. C'est ainsi qu'ils y achètent de vastes terrains en 1881 et 1882. Cette même année, ils fondent la Société anonyme des Haut-Fourneaux et Forges de Dudelange qui a pour but l'implantation à Dudelange d'une aciérie munie d'un convertisseur Thomas. En 1883, avant même le début des travaux de construction de la ligne ferroviaire reliant Dudelange à Bettembourg, on commence à exploiter les mines et à bâtir l'usine. L'année suivante, le premier haut-fourneau entre en service et le 15 avril 1886, le convertisseur Thomas est utilisé pour la première fois. 

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Construction du haut-fourneau N°6, mis en activité le 29 janvier 1899 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)

 
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Dudelange
après l'industrialisation (© Administration du Cadastre et de la Topographie)

L'industrialisation exige plus de main d'oeuvre


Quoique qu'elle ait doublé de 1880 à 1890, la seule population du Luxembourg ne peut pas satisfaire à la demande énorme de main-d'oeuvre formulée par l'industrie sidérurgique. C'est ainsi que commence une immigration massive de travailleurs étrangers. Ce sont d'abord des Allemands, des Belges et des Français des régions avoisinantes qui s'établissent au Luxembourg, puis des Polonais et des Italiens. Il faut préciser que ces derniers ne constituent d'abord qu'une très petite partie des immigrants: En 1890, 5091 habitants sont recensés à Dudelange, dont seulement 2% d'Italiens, mais 20% d'Allemands (immigrants de l'Alsace et de la Lorraine annexées par l'Allemagne compris). À Dudelange, l'immigration va pourtant connaître une évolution particulière; au début de ce siècle, la plupart des travailleurs étrangers y sont italiens. En 1902, Dudelange compte 2075 étrangers, dont:
  • 1550 Italiens
  • 419 Allemands 
  • 105 Belges
  • 1 Russe
Sur le plan national, la relève des Allemands dans le rôle de premier groupe  immigré n'a lieu qu'après la Seconde Guerre Mondiale.
Document source:
Rapport policier du 20/05/1897



Établissement des immigrés à Dudelange

C'est à la fin du XIXe siècle que le quartier Italie, dont le plus ancien édifice est le Café Dickes, construit en 1883, est aménagé entre la mine et l'aciérie. Quelques années plus tard, en 1886, on y met en service une gare pour voyageurs, la Gare-Usines (Bahnhof-Werk). Le dimensions de l'Italie sont fixées définitivement avec la construction de la Porte d'Italie, passerelle reliant ce quartier au centre-ville. Situé au nord du quartier Italie, le quartier Tattenberg est peuplé surtout de familles italiennes.
Le quartier Schmelz, dont les premières maisons sont bâties en 1890 à proximité de l'usine sidérurgique, est surnommé la Petite Belgique à cause des nombreux briquetiers belges qui s'y sont installés.
À partir de 1887, l'usine construit, en plusieurs étapes, deux cités ouvrières, d'abord rue de Zoufftgen, puis, en 1898, au nord de Dudelange, au lieu-dit Brill.
Pour avoir une vue d'ensemble du nombre d'habitants par quartier, il est utile de jeter un coup d'oeil sur sur le recensement de la population effectué en 1900:

Quartier

Nombre d'habitants

Dudelange-Centre

3254

Italie

1487

Schmelz

2461

Tattenberg

1075

Burange

414

Budersberg

378

Total

9069





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Vue de l'Italie Basse en 1908; au premier plan un jeu de quilles en plein air (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)
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Le Quartier Schmelz (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)

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La rue de Zoufftgen vers 1916 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)

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La Niddeschgaass vers 1906 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)

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La centrale électrique avec ses turbines à gaz, photo prise en 1911 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)
 

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La nouvelle église paroissiale en 1904 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)


Suites de l'industrialisation sur l'économie de Dudelange

L'implantation de nouvelles entreprises et l'afflux immense de travailleurs étrangers engendrent une transformation structurelle du commerce traditionnel, ce qui apporte une certaine aisance à quelques commerçants. Les maisons des paysans et des journaliers sont remplacées par des immeubles d'habitation et de commerce à plusieurs étages, ce qui est un pas décisif vers l'urbanisation. En 1903, Dudelange compte des entreprises de construction, des banques, des sculpteurs, des vitriers, des peintres, des modistes, des chapeliers, des pâtissiers, des bureaux de tabac, ainsi qu'un grand nombre de cafés et d'auberges.

Cette évolution engendre une amélioration générale des conditions de vie: en 1900, une usine à gaz, servant au ravitaillement des foyers privés et à l'éclairage public, entre en service. Dix ans plus tard, en 1910, un réseau d'égouts double la conduite d'eau construite en 1893. Cette même année, une école moyenne pourvoyant entrev autre à l'instruction des jeunes ouvriers en dessin linéaire est créée. En 1894 est posée la première pierre de la nouvelle église paroissiale dont la construction est achevée en 1900. L'assistance médicale aux ouvriers et à leurs familles est assurée par un hôpital d'une capacité de 16 lits entré en service en 1896 et agrandi en 1902. Une année plus tard, une deuxième clinique appartenant à l'aciérie est mise en service.



La vie des ouvriers



Conditions de travail, salaires et retraites

 

La majeure partie de la vie des ouvriers est occupée par de longues journées de travail. Il s'agit d'une occupation démoralisante qui éprouve les travailleurs par des risques élevés et des efforts physiques extrêmes. Étant donné que le salaire dépend de la durée de travail, des horaires de 12 heures et plus ne sont pas inhabituels, le «laangen Tour» dure même 24 heures.
Dans l'activité minière, le temps de travail est légèrement plus court à cause des conditions de travail plus dures.
Par opposition à d'autres sites sidérurgiques, les ouvriers travaillant à Dudelange sont dispensés de longs trajets, les quartiers des travailleurs se trouvant à proximité de l'usine. Il y a pourtant des salariés provenant de l'Oesling qui sont logés dans des pensions de famille durant la semaine et qui rentrent chez eux seulement le jours chômés.
La plupart des ouvriers mènent une vie proche de la pauvreté. En effet, les salaires sont insignifiants et non adaptés aux dépenses des ouvriers, car ils dépendent de la fluctuation des marchés. De plus, aucune loi ne réglemente les payes des travailleurs. Celles-ci sont généralement inférieures à celle du Bassin Minier lorrain et du Kohlerevier de la Sarre.

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Traction chevaline dans une galerie, vers 1905 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)

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Groupe de mineurs avec leurs jeunes commissionnaires (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)
 

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Ouvriers au laminoir (1903) (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)


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Laminoir: générateur de propulsion (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)
 

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L'hôpital de l'usine avant son premier agrandissement (© Ville de Dudelange / Mémoire collective


Assurances sociales


En dépit des risques élevés auxquels les ouvriers sont exposés, les assurances sont rares avant 1900. En effet, les travailleurs ne sont assurés d'ordinaire que par l'initiative des entreprises et ces assurances ne concernent souvent que les Luxembourgeois. En 1901, l'assurance maladie devient officiellement obligatoire pour l'ensemble des salariés, et en 1902, une loi impose l'assurance contre les accidents.
L'assistance médicale devient gratuite; et en cas d'incapacité de travail, l'ouvrier concerné reçoit une pension équivalent à 66,7% de son salaire. Les veuves peuvent obtenir jusqu'à 60% du salaire de leur mari. L'année suivante, en 1903, l'usine de Dudelange introduit un congé payé de 8 jours pour des ouvriers ayant servi plus de 25 années; les travailleurs expérimentés reçoivent une prime. Or, c'est seulement en 1911 qu'une pension régulière est adoptée; elle ne peut cependant n'être exigée qu'à l'âge de 68 ans.


Mouvement ouvrier

Bien que les premières représentations ouvrières, sous forme de conseils d'usine, ne soient introduites que par un arrêt grand-ducal de 1919, Émile Mayrisch, directeur de l'usine de Dudelange, anticipe en 1905 cette institution. Avec l'accord du conseil d'administration de la Société, la première délégation est élue le 18 janvier 1906. Cette institution contribuera beaucoup à la paix sociale au cours des années à venir. En effet, il n'y aura que très peu de grèves ou de manifestations ouvrières avant la Première Guerre Mondiale. 
 

XXX


Fête du Travail (1er mai 1920) (hist_c6.jpg)


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Le Café Rossi en 1908 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)


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La rue d'Italie, à gauche le Café Dickes (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)
 

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Op der Schmelz (hist_c9.jpg)


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 La boucherie de l'économat en 1909 (© Ville de Dudelange / Mémoire collective)

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Soupe populaire (1915) (hist_c11.jpg)


Les conditions de vie dans les quartiers ouvriers


L'afflux subit des travailleurs étrangers pose de grands problèmes au village de Dudelange: les quartiers hâtivement aménagés ne peuvent accueillir tous les immigrants, car le nombre de solliciteurs est plus grand que celui des nouvelles constructions (en effet le nombre d'habitations a doublé de 1871 à 1906, celui des habitants a quintuplé). Cette crise du logement attire les tâcherons, des commerçants qui jouent un rôle d'intermédiaire entre l'entreprise et l'ouvrier: en tenant en parallèle un magasin de comestibles ou une guinguette, ils exploitent les ouvriers en leur louant de minuscules chambres à des prix démesurés.
Les spéculateurs aussi profitent de la situation: en effet, le nombre d'entrepreneurs a augmenté de façon spectaculaire à partir de 1880. Au quartier Italie par exemple, ils construisent des maisons qu'ils donnent en location à des prix usuriers. La qualité de ces maisons est généralement misérable. Quant à l'hygiène dans ces maisons, elles est souvent catastrophique: les conditions de vie dans ces «casernes» humides et sales favorisent la propagation de maladies comme la tuberculose ou même le choléra ou le typhus. Il s'y ajoute le fait que la plupart des maisons ne possèdent qu'une fosse d'aisances pour plusieurs familles.
Les rapports sur les conditions de vie dans ces quartiers font scandale dans les milieux bourgeois; on critique violemment les unions libres qui seraient la cause de la criminalité et de la dépravation des moeurs.
Après la nomination d'Émile Mayrisch au poste de directeur, l'usine de Dudelange montre un engagement social exemplaire et crée un grand nombre d'institutions en faveur des travailleurs et de leurs familles. Afin d'assurer une alimentation plus saine des ouvriers, l'usine de Dudelange ouvre en 1907 une soupe populaire, ainsi qu'un économat, une épicerie appartenant à l'usine où les travailleurs peuvent acheter des aliments à prix réduit. Ces mesures ont entre autre pour but de mettre fin à l'exploitation des ouvriers par les tâcherons. De même, la Société s'engage à prendre en charge les frais de scolarité des enfants d'ouvriers qui fréquentent l'école primaire supérieure.

Source documents:

Rapport de police du 13/03/1897
«Le Patron sur son engagement social»



Les loisirs


Comme la partie majeure de leur vie est occupée par le travail à l'usine, les ouvriers n'ont pas beaucoup de temps à consacrer à leur famille ou à un passe-temps. Cependant, avec la croissance démographique, l'amélioration du niveau de vie et la réduction du temps de travail, une multitude d'associations naissent dans les domaines les plus variés. 
 
Le jardin du Café Rossi 1er à droite: l'artiste-peintre Dominique Lang
Nom Typologie Année de fondation
"Musikgesellschaft Düdelingen" Société de musique 1886/1896
"Union" Société de gymnastique 1898
"Mutuo Soccorso" Association ouvrière 1899
"Chorale Sainte Cécile" Chorale 1907
"Übers Brettel" Club de quilles 1907
"La Fratellanza" Société de musique 1911
"Concordia" Société de musique 1911
"Blaue Wolke" Club de fumeurs 1912
"Boy-Scouts Korps Düdelingen" Groupe d'éclaireurs 1913
"Jünglingscongregation" Association de la jeunesse catholique 1913

En 1906, les employés de l'usine de Dudelange fondent une société de casino. Quelques années plus tard, le 12 juin 1912, l'aubergiste Henri Hamilius-Gerend reçoit l'autorisation «d'établir un moteur à gaz servant à l'exploitation d'un cinématographe». Les fêtes populaires représentent cependant la façon la plus populaire de se divertir: chaque année, les kermesses de la Saint Martin et de la Saint Jean attirent la foule.
 

Dudelange | le rang de ville



Dudelange est élevée au rang de Ville

Le 4 août 1907, Guillaume IV, Grand-Duc de Luxembourg, confère le titre de ville aux localités de Dudelange, Differdange, Ettelbruck et Rumelange. Les conditions de cette élevation sont le nombre d'habitants (Dudelange compte entretemps plus de 10'000 habitants), une industrie et un commerce importants, une connexion au réseaux routier et ferroviaire, des services publics, ainsi que l'entretien et l'éclairage des voies publiques. Cependant les festivités d'inauguration ne se déroulent que l'année suivante, le 2 août 1908, sous forme d'une exubérante fête populaire, préparée minutieusement et de longue main. 
 

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Dominique Lang, affiche à l'occasion des festivités du 2 août 1908 (Collection de la Ville de Dudelange)(hist_d1.jpg)